Noblesse

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NOBLESSE, subst. fém. En France, la Noblesse tire sa première origine des Gaulois, chez lesquels il y avait l'ordre des chevaliers, distingués des druides et du commun du peuple.

Les Romains ayant fait la conquête des Gaules, y établirent peu à peu les règles de leur Noblesse.

Enfin, lorsque les Francs eurent à leur tour conquis les Gaules sur les Romains, cette nation victorieuse forma le principal corps de la Noblesse en France.

On sait que les Francs venaient des Germains, chez lesquels la Noblesse héréditaire était déjà établie puisque Tacite, en son liv. II des mœurs des Germains, dit que l'on choisissait les rois dans le corps de la Noblesse. Ce terme ne signifiait pas la valeur militaire, car Tacite distingue clairement l'une et l'autre, en disant : regis ex nobilitate duces ex virtute sumunt.

Les nobles faisaient tous profession de porter les armes ; ainsi l'on ne peut douter que les Francs, qui étaient un essaim de Germains, et qui aidèrent Clovis à faire la conquête des Gaules, étaient tous nobles de Noblesse héréditaire et que le surnom de Francs qu'on leur donna, parce qu'ils étaient libres et exempts de toutes impositions, désigne en même temps leur Noblesse, puisque cette exemption dont ils jouissaient était fondée sur leur qualité de noble.

Il y avait donc, au commencement de la monarchie trois sortes de nobles : les uns qui descendaient des chevaliers gaulois, qui faisaient profession de porter les armes, d'autres qui venaient des magistrats romains, lesquels joignaient l'exercice des armes à l'administration de la justice et au gouvernement civil et des finances ; et la troisième sorte de nobles était les Francs, qui faisaient tous profession des armes, étaient exempts de toutes servitudes personnelles et impositions, ce qui les fit nommer Francs, à la différence du reste du peuple qui était presque tout serf, et cette franchise fut prise pour la Noblesse même, de sorte que Franc, libre ou noble, étaient ordinairement des termes synonymes.

Dans la suite, les Francs s'étant mêlés avec les Gaulois et les Romains, ne formèrent plus qu'une même nation, et tous ceux qui faisaient profession des armes étaient réputés nobles également, de quelque nation qu'ils tirassent leur origine.

Ce fut quelques siècles après que les vassaux immédiats de la couronne, tels que les pairs de France, composèrent la Noblesse du premier ordre ; les comtes, subordonnés aux comtes grands vassaux immédiats, les vicomtes, les châtelains, formèrent le second ordre ; les vavasseurs ou vassaux des châtelains représentèrent la classe de la simple Noblesse, dans laquelle on peut ranger tous ceux qui dénaturèrent leurs possessions pour les convertir en fiefs ; ainsi que les bourgeois d'alors, qui reçurent la ceinture militaire des mains des barons.

Les nobles de ces différentes classes jouissaient, chacun dans leur ordre, de diverses prérogatives et privilèges considérables qui les distinguaient du reste de la nation que l'histoire de ces temps de barbarie, nous représente comme vivant dans l'abjection et dans une véritable servitude.

D'autres historiens trouvent l'origine de la Noblesse dans le service militaire ; les peuples du nord avaient une estime toute particulière pour la valeur militaire : comme par leurs conquêtes ils cherchaient la possession d'un pays meilleur que celui de leur naissance ; qu'ils s'estimaient considérables, à proportion du nombre de combattants qu'ils pouvaient mettre sur pied ; et que, pour les distinguer des paysans ou roturiers, ils appelaient nobles ceux qui avaient accru leur domination par la guerre : or, pour récompense de leurs services, dans le partage des terres conquises, ils leur donnèrent des francs-fiefs, à condition de continuer à rendre à leur patrie les mêmes services qu'ils lui avaient déjà rendus.

C'est ainsi que le corps de la Noblesse se forma en Europe, et devint très nombreux mais ce même corps diminua prodigieusement par les guerres des croisades, et par l'extinction de plusieurs familles : il fallut alors, de nécessité, créer de nouveaux nobles. Philippe le Hardi, imitant l'exemple de Philippe le Bel, son prédécesseur, qui le premier donna des lettres de Noblesse en 1270, en faveur de Raoul l'orfèvre, c'est-à-dire l'argentier ou payeur de sa maison, prit le parti d'anoblir plusieurs roturier. On employa la même ressource en Angleterre ; enfin, en Allemagne même, si les empereurs n'eussent pas fait de nouveaux gentilshommes, s'il n'y avait de nobles que ceux qui prouveraient la possession de leurs châteaux et de leurs fiefs, ou du service militaire de leurs aïeux, du temps de Frédéric Barberousse, sans doute qu'on n'en trouverait pas beaucoup.

Anciennement, les nobles rendaient seuls la justice ; dans les premiers temps, ils siégeaient avec leurs armes ; dans la suite, ils jugèrent sans armes et en habit long, selon la mode et l'usage de ces temps là, comme sont présentement les gens de robe.

Sous Philippe de Valois, en 1338, le noble à pied, armé d'une tunique, d'une jambière ou gambière, et d'un bassinet recevait pour sa solde deux sols tournois, et s'il était mieux armé, deux sols six deniers.

Outre les grades militaires qui communiquaient la Noblesse, nos rois avaient établi trois autres voies pour l'acquérir, savoir : la possession des grands fiefs qui anoblissait autrefois les roturiers, auxquels on permettait de posséder fiefs ; l'anoblissement par lettres du prince ; et enfin, l'exercice de certains offices d'épée, de judicature ou de finance, auxquels le roi attachait le privilège de noblesse.

Ceux qui avaient acquis par l'un ou l'autre de ces différentes voies, ou qui étaient nés de ceux qui avaient été anoblis, étaient tous également nobles, car on ne connaissait point parmi nous deux sortes de Noblesse. Si l'on désignait la Noblesse de robe et d'épée, ce n'était que pour indiquer les différentes causes qui avaient produit l'une ou l'autre, et non pour établir entre ces nobles aucune distinction ; les honneurs et privilèges attachés à la qualité de noble étaient les mêmes pour tous les nobles, de quelque cause que procédât leur Noblesse.

On distinguait à la vérité plusieurs degrés dans la Noblesse, savoir : celui de simples gentilshommes, nobles ou écuyers ; celui de la haute Noblesse, qui comprenait les chevaliers, comtes, barons et autres seigneurs ; et le plus élevé de tous, était celui des princes. Le degré de la haute Noblesse, pouvait encore recevoir plusieurs subdivisions pour le rang : mais encore une fois, il n'y avait pas de distinction entre les nobles, par rapport aux différentes causes dont pouvait procéder leur Noblesse ; on ne connaissait d'autres distinctions parmi la Noblesse, que celles qui viennent de l'ancienneté ou de l'illustration, ou de la puissance que les nobles pouvaient avoir à cause de quelque office dont ils étaient revêtus, tels qu'étaient les offices de judicature, qui conféraient au pourvu l'exercice d'une partie de la puissance publique.

Différents abus s'étant introduits dans les anoblissements, la Noblesse du royaume adressa des remontrances au roi, aux États généraux, tenus à Paris, en 1614, et il intervint en 1615 un édit réglementaire pour les armoiries des vrais nobles, et dans les années suivantes, plusieurs recherches furent ordonnées contre les usurpateurs de Noblesse ; mais ces recherches, loin de remplir le but qu'on s'en était proposé, tournèrent contre les intérêts des vrais nobles, qui souvent étant pauvres, ne purent parvenir à se faire entendre par les intendants ou par les traitants, tandis que les usurpateurs au contraire, jouissant d'une fortune immense, leur firent croire tout ce qu'ils avançaient sur la prétendue Noblesse de leur origine. Ainsi la Noblesse ancienne, qui avait rendu des services éminents aux rois et à la patrie, et dont la fortune s'était souvent épuisée au service, se vit écrasée par de riches financiers, qui, pourvus d'une échelle à gradins d'or, parvinrent au plus haut degré d'élévation. Alors, la Noblesse ainsi mélangée montra des défauts et des ridicules, qui firent perdre au peuple le respect qu'on lui portait dans l'origine, et l'esprit de philosophie qui commençait à se répandre finit par jeter sur ce premier corps de l'état, une défaveur injuste, qui amena notre funeste révolution.

À la vérité, celui qui est noble a des devoirs sacrés à remplir envers la société ; ce caractère lui impose la tâche immense de s'élever par ses vertus au-dessus du commun des hommes ; dans les camps, par ses lumières et son courage ; dans la vie civile et privée, par sa tolérance et son humanité. Il faut que les roturiers en le voyant se disent : consolons-nous de ce que la naissance a mis une distance entre lui et nous, la nature l'a doué des dons qu'elle accorde rarement au vulgaire…! et avouons que, s'il fallait désigner le plus digne, ce serait lui que nous nommerions…! Voilà comme le peuple peut être rappelé aux sentiments de respect et de vénération qu'il doit à la Noblesse.

Pour être utile à son prince, à son pays, il faut qu'un gentilhomme ne dégénère pas de ses aïeux, et quoiqu'il y ait certaine amertume dans la satire de Boileau sur la Noblesse, je crois cependant qu'il n'est pas déplacé de la rappeler dans cet ouvrage. Cette satire a été faite en l'année 1695.

La Noblesse, Dangeau, n'est pas une chimère, Quand, sous l'étroite loi d'une vertu sévère. Un homme issu d'un sang fécond en demi-dieux, Suit, comme toi, la trace où marchaient ses aïeux. Mais je ne puis souffrir qu'un fat, dont la mollesse N'a rien pour s'appuyer qu'une vaine Noblesse, Se pare insolemment du mérite d'autrui, Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui. Je veux que la valeur de ses aïeux antiques. Ait fourni de matière aux plus vieilles chroniques, Et que l'un des Capets, pour honorer leur nom, Ait de trois fleurs de lis doré leur écusson. (1) Que sert ce vain amas d'une inutile gloire, Si de tant de héros célèbres dans l'histoire, Il ne peut rien offrir aux yeux de l'Univers. Que de vieux parchemins, qu'ont épargné les vers : Si tout sorti qu'il est d'une source divine, Son cœur dément en lui sa superbe origine, Et n'ayant rien de grand qu'une sotte fierté, S'endort dans une lâche et molle oisiveté. Cependant, à le voir avec tant d'arrogance, Vanter le faux éclat de sa haute naissance, On dirait que le Ciel est soumis à sa loi, Et que Dieu l'a pétri d'autre limon que moi. Enivré de lui-même, il croit dans sa folie, Qu'il faut que devant lui d'abord tout s'humilie, Aujourd'hui toutefois, sans trop le ménager, Sur ce ton un peu haut je vais l'interroger. Dites-moi, grand héros, esprit rare et sublime, (2) Entre tant d'animaux, qui sont ceux qu'on estime ? On fait cas d'un courtier, qui fier et plein de cœur, Fait paraître en courant sa bouillante vigueur : Qui jamais ne se lasse, et qui dans la carrière S'est couvert mille fois d'une noble poussière : Mais la postérité d'Alfare et de Bayard, (3) Quand ce n'est qu'une rosse, est vendue au hasard, Sans respect des aïeux dont elle est descendue, Et va porter la malle, ou tirer la charrue. Pourquoi donc voulez-vous que, par un sot abus, Chacun respecte en vous un honneur qui n'est plus ? On ne m'éblouit point d'une apparence vaine. La vertu, d'un cœur noble est la marque certaine. (4) Si vous êtes sorti de ces héros fameux. Montrez-nous cette ardeur, qu'on vit briller en eux. Ce zèle pour l'honneur, cette horreur pour le vice. Respectez-vous les lois ? fuyez-vous l'injustice ? Savez-vous pour la gloire oublier le repos, Et dormir en plein champ le harnois sur le dos ? Je vous connais pour Noble à ces illustres marques. Alors soyez issu des plus fameux Monarques ; (5) Venez de mille aïeux ; et si ce n'est assez, Feuilletez à loisir tous les siècles passés ; Voyez de quel guerrier il vous plaît de descendre ; Choisissez de César, d'Achile ou d'Alexandre. En vain un faux censeur voudrait vous démentir, Et si vous n'en sortez, vous en devez sortir. Mais fussiez-vous issu d'Hercule en droite ligne, Si vous ne faites voir qu'une bassesse indigne, Ce long amas d'aïeux que vous diffamez tous, Sont autant de témoins qui parlent contre vous ; (6) Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie, Ne sert plus que de jour à votre ignominie. En vain tout fier d'un sang que vous déshonorez, Vous dormez à l'abri de ces noms révérés. En vain vous vous couvrez des vertus de vos pères : Ce ne sont à mes yeux que de vaines chimères. Je ne vois rien en vous qu'un lâche, un imposteur, Un traître, un scélérat, un perfide, un menteur, Un fou, dont les accès vont jusqu'à la furie, Et d'un tronc fort illustre une branche pourrie. Je m'emporte, peut-être, et ma muse en fureur Verse dans ses discours trop de fiel et d'aigreur. Il faut avec les Grands un peu de retenue. Hé bien, je m'adoucis. Votre race est connue. Depuis quand ? répondez. Depuis mille ans entiers ; (7) Et vous pouvez fournir deux fois seize quartiers. (8) C'est beaucoup. Mais enfin les preuves en sont claires ; Tous les livres sont pleins des titres de vos pères : Leurs noms sont échappés du naufrage des temps ; Mais qui m'assurera, qu'en ce long cercle d'ans, À leurs fameux époux, vos aïeules fidèles, Aux douceurs des galants furent toujours rebelles ? Et comment savez-vous, si quelque audacieux N'a point interrompu le cours de vos aïeux : Et si leur sang tout pur, ainsi que leur Noblesse, Est passé jusqu'à vous de Lucrèce en Lucrèce ? Que maudit soit le jour où cette vanité Vient ici de nos mœurs souiller la pureté ! Dans les temps bienheureux du monde en son enfance, Chacun mettait sa gloire en sa seule innocence ; Chacun vivait content, et sous d'égales lois, Le mérite y faisait la Noblesse et les rois ; Et sans chercher l'appui d'une naissance illustre, Un héros, de soi-même, empruntait tout son lustre. Mais enfin par le temps le mérite avili, Vit l'honneur en roture et le vice anobli : Et l'orgueil, d'un faux titre appuyant sa faiblesse, Maîtrisa les humains sous le nom de Noblesse. De-là vinrent en foule et Marquis et Barons. Chacun pour ses vertus n'offrit plus que des noms. Aussitôt maint esprit, fécond en rêveries, Inventa le Blason avec les Armoiries ; De ses termes obscurs fit un langage à part, Composa tous ces mots de Cimier et d'Ecart, De Pal, de Contrepal, de Lambel et de Fasce, Et tout ce que Segoing dans son Mercure entasse. (9) Une vaine folie enivrant la raison, L'honneur triste et honteux ne fut plus de saison. Alors, pour soutenir son rang et sa naissance, Il fallut étaler le luxe et la dépense ; Il fallut habiter un superbe palais, Faire par les couleurs distinguer ses valets : Et traînant en tout lieux de pompeux équipages, Le Duc et le Marquis se reconnut aux pages. Bientôt pour subsister, la Noblesse sans biens Trouva l'art d'emprunter et de ne rendre rien ; Et bravant des sergents la timide cohorte, Laissa le créancier se morfondre à sa porte. Mais pour comble à la fin, le Marquis en prison, Sous le faix des procès vit tomber sa maison. Alors le Noble altier, pressé de l'indigence, Humblement du faquin rechercha l'alliance ; Avec lui trafiquant d'un nom si précieux, Par un lâche contrat vendit tous ses aïeux, Et corrigeant ainsi la fortune ennemie, Rétablit son honneur à force d'infamie. Car si l'éclat de l'or ne relève le sang, En vain l'on fait briller la splendeur de son rang ; L'amour de vos aïeux passe en vous pour manie, Et chacun pour parent vous fuit et vous renie ; Mais quand un homme est riche il vaut toujours son prix : Et l'eût on vu porter la mandille à Paris, (10) N'eût–il de son vrai nom ni titre ni mémoire, D'Hozier lui trouvera cent aïeux dans l'histoire. (11) Toi donc, qui de mérite et d'honneur revêtu, Des écueils de la Cour as sauvé ta vertu, Dangeau, qui dans le rang où notre roi t'appelle, Le voit toujours orné d'une gloire nouvelle, Et plus brillant par soi que par l'éclat des lys, Dédaigner tous ces rois dans la pourpre amollis ; Fuir d'un honteux loisir la douceur importune ; À ses sages conseils affermir la fortune ; Et de tout son honneur ne devant rien qu'à soi, Montrer à l'univers ce que c'est qu'être roi : Si tu veux te couvrir d'un éclat légitime, Va par mille beaux faits mériter son estime : Sers un si noble maître ; et fais voir qu'aujourd'hui Ton prince a des sujets qui sont dignes de lui.

Tout gentilhomme français qui se pénétrera de cette satire, sentira dans son âme une noble émulation : et loin de se contenter de porter le nom de ses ancêtres, il cherchera à imiter leurs vertus ; il payera de sa personne et de ses moyens ; et le roi et l'État, fructueusement soutenus par une jeunesse vive et brillante, pourront réparer des malheurs qui ne sont pas sans exemples dans notre histoire.

d'après le Dictionnaire encyclopédique de la noblesse de France Nicolas Viton de Saint-Allais (1773-1842) — Paris, 1816